Charlotte Cadé est la cofondatrice de Selency, marketplace de mobilier et décoration de seconde main lancée en 2014. Le projet est né d’un besoin personnel : meubler son premier appartement avec des pièces uniques, porteuses d’histoire. Ce plaisir de chiner s’est transformé en entreprise, puis en aventure collective. Aujourd’hui, Selency réunit plus d’un million de visiteurs par mois, 5 000 marchands partenaires et une trentaine de collaborateurs.
En onze ans, Charlotte a levé plusieurs fois des fonds, recruté, fait évoluer son équipe et traversé une restructuration, sans jamais céder à la tentation de jouer un rôle. Aux côtés de son mari, Maxime Brousse, elle a bâti une entreprise ambitieuse mais sincère, où la culture humaine n’a jamais été un effet de communication, mais un cadre réel pour prendre des décisions et faire avancer l’organisation.
L’entrepreneuriat est d’abord une aventure humaine
“Je pense que l’entrepreneuriat ce sont des aventures humaines. Quand j’allais rencontrer des clients, talents, prospects : j’avais une démarche sincère, qui m’a permis de fédérer autour de moi.”
Dès les débuts, Charlotte s’appuie sur le lien humain pour avancer. Sans budget ni notoriété, elle parvient à fédérer en exposant clairement l’ambition du projet et la valeur qu’il peut créer. Sa manière de formuler où elle veut aller et ce que cela implique donne rapidement de la visibilité à ceux qui la rejoignent.
Points clés à retenir :
- La sincérité crée de l’attraction naturelle : quand le projet est porté avec authenticité, il suscite l’envie de s’y engager, même sans promesse de confort ou de notoriété.
- Les premiers recrutements fixent la tonalité culturelle : les valeurs incarnées par les premiers collaborateurs – leur état d’esprit, leur manière de travailler – deviennent la matrice de l’entreprise à long terme.
Recruter avec authenticité et lucidité
“Il n’est pas demandé à un CEO de connaître tous les métiers de son entreprise, par contre il lui est demandé de poser les bonnes questions pour être sûr de recruter les bonnes personnes.”
Charlotte revendique le droit de ne pas tout savoir. Pour elle, recruter c’est d’abord comprendre ce qui anime une personne, ce qui lui donne envie de construire ici plutôt qu’ailleurs. En posant les bonnes questions, elle évalue la motivation, la curiosité et l’envie d’apprendre, plutôt que la simple maîtrise technique.
Les meilleurs recrutements ont souvent été ceux capables de vulgariser, de relier le métier au business et de travailler en complémentarité. L’humilité, la curiosité et la clarté d’intention sont devenues ses meilleurs indicateurs de fit humain.
Points clés à retenir :
- Le rôle du dirigeant est de questionner, pas de tout maîtriser : il n’a pas besoin d’être expert de chaque métier, mais il doit poser les bonnes questions, s’intéresser à la manière dont un candidat réfléchit et comprendre ce qui motive sa démarche. Cette curiosité ouverte permet d’évaluer la façon dont la personne aborde les sujets, sa capacité à s’intégrer dans l’équipe et la qualité de sa contribution future.
- La capacité à vulgariser est un indicateur décisif : un expert qui maîtrise vraiment son sujet doit pouvoir l’expliquer simplement. Une compétence technique n’a de valeur que si elle peut être comprise, partagée et mise au service d’un business lisible.
- L’alignement humain prime sur la technicité : un candidat qui comprend la mission et partage les valeurs de l’entreprise aura plus d’impact dans la durée qu’un profil parfait sur le papier mais désaligné sur le fond.
Faire grandir sans trahir sa culture
“La force de Selency ça a été d’être très fidèle à sa culture de départ, et d’avoir une culture très forte dans l’entreprise, avec des ex-collaborateurs qui reviennent nous dire qu’ils n’ont jamais retrouvé un modèle pareil.”
Entre 2015 et 2022, Selency a levé plusieurs fois des fonds pour soutenir sa croissance. L’entrée d’investisseurs reconnus a apporté crédibilité et visibilité, facilitant les recrutements et accélérant le développement. Mais malgré les moyens nouveaux, la culture d’origine est restée inchangée : ambition, authenticité, débrouille.
Charlotte a toujours veillé à préserver cet esprit, même en phase d’expansion. L’équipe a continué à “faire avec des bouts de ficelle” : en gardant le goût du concret et le sens de la mesure, Selency a grandi sans se perdre.
Points clés à retenir :
- La culture d’une entreprise se protège activement : plus l’organisation grandit, plus la tentation de s’en éloigner est forte. La maintenir vivante demande une vigilance constante de la part des dirigeants.
- La contrainte nourrit l’identité : travailler avec des ressources limitées force à la créativité, à la clarté et à la priorisation – des qualités qui forgent une culture solide et différenciante.
- La croissance ne doit pas effacer la cohérence : conserver le même ton, la même manière d’agir et les mêmes repères, même après plusieurs levées de fonds, c’est la meilleure façon de bâtir une marque crédible et durable.
Diriger dans les moments difficiles - le plan de sauvegarde de l’emploi
“La décision doit être rationnelle, il faut se demander quelles sont les ressources minimum pour faire tourner l’entreprise et qu’elle continue à vivre. On raisonne en métiers, et absolument pas en personnes.”
C’est dans les périodes de crise que les valeurs d’une entreprise sont réellement mises à l’épreuve. Lors du plan de sauvegarde de l’emploi, Charlotte a choisi de ne pas se réfugier derrière le silence ou les chiffres. Elle a pris le parti de la transparence : expliquer la situation de trésorerie, partager les contraintes, détailler les arbitrages. La décision, rationnelle mais douloureuse, a été prise avec lucidité et assumée avec humanité.
Pour Charlotte, diriger, c’est aussi faire face à la complexité sans se couper de l’émotion. Le rôle du dirigeant n’est pas d’épargner les équipes, mais de leur donner les clés pour comprendre et traverser la situation avec dignité. Elle a donc privilégié un dialogue ouvert, en laissant la place à la parole et à l’écoute. Cette posture, exigeante mais sincère, a permis de préserver la confiance même dans un moment de rupture.
Points clés à retenir :
- La transparence rend les décisions difficiles plus légitimes : partager les données, les contraintes et la logique de décision permet aux équipes d’accepter le réel, même quand il est dur à entendre.
- La pédagogie est une preuve de respect : expliquer les choix, poser le cadre et donner du sens, c’est reconnaître la maturité des collaborateurs et leur droit à la compréhension.
- L’émotion renforce le leadership, elle ne le fragilise pas : assumer la charge humaine d’une décision, montrer de l’empathie sans renoncer à la fermeté, c’est incarner un leadership à la fois lucide et crédible.